Dans We the Media: Grassroots Journalism By The People, For the People, Dan Gillmor, éditorialiste au San Jose Mercury News et fondateur de Bayosphere, décrit les évolutions structurantes que le web imposent aux médias traditionnels et aux institutions, notamment par la prise de parole publique que tout un chacun obtient grâce aux outils de blogging. Le « public » devient partie prenante de la conversation.
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Après une présentation de l’évolution historique des médias et de la liberté de la presse, Dan Gillmor s’attache à démontrer en quoi l’arrivée du web est une innovation disruptive dans le monde des médias. En effet, pour la première fois, on a un média qui est par essence ouvert à tout un chacun, pour peu que l’on soit connecté. On a donc vu de plus en plus de particuliers, de consommateurs, d’utilisateurs de services, de citoyens, bref, de gens, s’approprier les différents outils pour prendre la parole en ligne. Avec l’arrivée des solutions de blogging, le phénomène s’est amplifié, en permettant aux personnes de s’affranchir des contraintes techniques et en leur donnant la possibilité d’avoir un espace en ligne pour quasiment rien. L’auteur présente les impacts sur les entreprises, les médias, et la vie publique.
Impacts sur les entreprises: les entreprises peuvent utiliser ces outils de communication, à la fois pour présenter leurs produits ou leurs services, mais aussi pour offrir aux consommateurs un espace de discussion et de feedback. Elles peuvent aussi, grâce aux TIC, améliorer leurs produits en collaboration avec des consommateurs experts. Cela les oblige à plus de transparence et d’honnêteté, mais une fois la tour d’ivoire ouverte, l’impact sur l’image de marque et les produits peut se révéler très fort. A l’inverse, ne pas prendre en compte les remontées des utilisateurs d’un produit peut augmenter la grogne de ces consommateurs, dont l’opinion négative sera plus facilement diffusée auprès du public, aussi bien par le net que par les autres médias.
Impacts sur les médias: les grands médias n’ont plus nécessairement le monopole de l’information, à la fois pour l’obtenir et pour la publier. Des individus peuvent non seulement obtenir mais surtout diffuser une information avant que les grands réseaux de radio ou de télévision, sans parler de la presse, dans laquelle Dan Gillmor voit plus un rôle d’organisme de surveillance (watchdog) que de relais d’information chaude (hot news). D’ailleurs, les journalistes professionnels se mettent à utiliser ces nouvelles formes de communication, à la fois pour être informés plus rapidement, mais aussi pour discuter et échanger.
Impacts sur la vie publique: le net, en permettant à chacun de prendre la parole, permet le développement d’échanges forts au sein des différentes communautés. On voit donc apparaître une forme de journalisme collaboratif, citoyen, dans lequel les membres d’un groupe font leur propre media. A l’échelle d’un pays, on peut ainsi voir émerger un organisme collaboratif capable de rivaliser avec les plus grands groupes professionnels: un grand nombre d’observateurs estime qu’en 2002, le site coréen OhMyNews a permis au réformiste Roh Moo Hyun de gagner les élections présidentielles en Corée du Sud. Au contraire des trois principaux quotidiens, qui avaient tous de forts liens avec le gouvernement précédent, OhMyNews est un journal collaboratif écrit essentiellement par ses lecteurs, et dont le ton plus critique a attiré un nombre impressionnant de lecteurs. Sur la même tendance, le candidat à l’élection présidentielle US de fin 2002 Howard Dean a bénéficié d’un incroyable soutien en ligne, a récolté la plupart de ses dons sur le net, et a mené une grande partie de sa campagne en ligne. Même s’il n’a pas gagné l’élection, tous les observateurs sont d’accord pour dire que le net joue un rôle croissant dans les campagnes politiques et sera au coeur des prochaines élections américaines de fin 2006.
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Le net en général, et les technologies de publication de type weblog en particulier, remettent en cause un grand nombre de concepts de communication jusque là bien établis: qu’il s’agisse de la façon dont les entreprises communiquent (ou non) avec leurs consommateurs, des méthodes éditoriales et économiques des grands médias, ou de la gestion de vie publique et politique, tout un chacun peut désormais intervenir et faire peser sa voix dans la balance.
Derrière ces concepts de remise en cause et de transparence, on sent la bonne volonté de Dan Gillmor de pousser l’action de chacun en ligne, afin de s’investir dans la vie politique, économique et sociale. On comprend également que ce livre lui permet de présenter les concepts qui l’ont amené à créer Bayosphere, et sa volonté de pousser le journalisme citoyen (ou journalisme collaboratif). Néanmoins, tout le monde n’est pas journaliste, écrire nécessite un minimum de compétences (voire de talent), et s’impliquer coûte du temps et de l’énergie. Je suis donc curieux de voir comment le projet Bayosphere évoluera, de même que les initiatives dans les autres pays.
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We the Media: Grassroots Journalism By The People, For the People, par Dan Gillmor: un livre intelligent qui présente les impacts du web sur les médias, les entreprises et la vie publique. Il est néanmoins très centré sur les Etats-Unis, et je suis curieux de voir comment les autres pays vont évoluer.
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