Dans Synthetic Worlds: The Business And Culture Of Online Games, Edward Castronova montre que les utilisateurs des univers synthétiques partagent un ensemble de concepts, valeurs, croyances et systèmes de pensées, ce qui renforce d’autant leur adhésion et l’intérêt qu’ils portent aux univers auxquels ils participent (voir post précédent).
Cette adhésion est fortement renforcée par la perméabilité entre le monde physique et les univers synthétiques. De prime abord, on a tendance à opposer le monde “réel” aux mondes “virtuels”; or, les univers synthétiques ne sont pas moins “réels” que le monde physique: dans les deux cas, ce sont des êtres humains qui interagissent, et il s’agit des mêmes êtres humains dans de nombreux cas.
En conséquence, les utilisateurs partagent leur temps entre ces deux types de territoires, et s’organisent en conséquence: quand on est occupé à une tâche dans un univers synthétique, on ne peut pas être occupé à une tâche du monde physique. De plus, il faut s’organiser avec les autres personnes qui évoluent au sein du même univers synthétique, sur le même modèle que dans l’univers physique.
Ainsi, on comprend que les utilisateurs ne fassent pas de séparation franche entre les univers synthétiques et le monde physique, et passent de l’un à l’autre comme on passe de n’importe quelle activité à une autre. L’auteur montre également qu’il n’y a pas que les personnes qui passent d’un type d’univers à l’autre, mais également des biens, des services, des formes d’organisations, et l’ensemble des concepts et des représentations de la vie (il utilise le terme de membrane poreuse pour désigner la frontière symbolique que franchissent utilisateurs et concepts).
Concernant l’image qu’on se fait de la vie, Edward Castronova explique que la vie moderne peut s’avérer décevante pour beaucoup, surtout par rapport aux promesses de l’éducation, de la société et des média. L’intérêt perçu de ces mondes synthétiques est alors plus fort, renforçant encore l’adhésion des utilisateurs à ces univers.
Pour illustrer cette comparaison, l’auteur reprend le mythe de Sisyphe:
si la vie moderne peut se résumer à pousser sans cesse le rocher en haut de la colline pour le voir redescendre et recommencer à nouveau, les univers synthétiques permettent de mettre en place de nouvelles collines, toujours plus hautes; ainsi, même s’il faut continuer à pousser le rocher, au moins il est possible de le pousser toujours plus haut, toujours plus loin. De plus, ce n’est pas exactement le même rocher et la même colline: les concepts empruntés aux jeux de rôle tels que la notion de fantasy, la quête, le sens de la progression et de l’accomplissement, permettent de dépasser le côté routinier des activités régulières, et ce de façon bien plus efficace que dans le monde réel.
Enfin, miracle de l’informatique et des univers synthétiques, tout le monde peut être un être à part, un héros, car en plus des utilisateurs humains, ces mondes sont peuplés d’utilisateurs contrôlés par IA, et qui permettent de représenter le “peuple”, à l’aulne duquel l’utilisateur peut se mesurer. Difficile à reproduire dans la vie de tous les jours.Les concepts sociaux attachés aux univers synthétiques et leurs impacts sur la vie d’un nombre de personnes toujours plus grand permet de mieux comprendre la fascination croissante pour ces univers, et la nécessité d’analyser plus profondément ces sociétés naissantes, mais aussi les économies et marchés qui leurs sont attachés.
Pour aller plus loin dans la réflexion:
- Synthetic Worlds Initiative – fondée par Edward Castronova.
- Terra Nova – blog sur les mondes virtuels, auquel participe Edward Castronova.
—
Synthetic Worlds: The Business And Culture Of Online Games, par Edward Castronova: un livre fascinant qui aborde les univers synthétiques sous les angles économiques et sociaux et montre à quel point ces univers prennent (et prendront) une importance croissante dans la vie de toujours plus de personnes.
Pour acheter ce livre sur amazon.fr, cliquez ici: Synthetic Worlds: The Business And Culture Of Online Games.