Tous les ans, quand il s’agit de renouveler mes noms de domaines et hébergements en ligne, je me fais les mêmes réflexions : pourquoi est-ce que je paie? Et surtout, pourquoi est-ce que je paie ces montants?
Les noms de domaine étant purement dématérialisés, et les coûts techniques limités (environ $0,30 en 1999), comment expliquer qu’on paie entre 6 et 14 euros par an? Laurent Chemla, un des fondateurs de Gandi, attaquait de façon encore plus directe dans son texte « Confessions d’un voleur » :
« Je suis un voleur. Je vends des noms de domaine. Je gagne beaucoup d’argent en vendant à un public qui n’y comprend rien une simple manipulation informatique qui consiste à ajouter une ligne dans une base de données. Et je vais gagner bien davantage encore quand, la pénurie artificielle ayant atteint son but, le commerce mondial décidera d’ouvrir quelques nouveaux TLD qui attireront tous ceux qui ont raté le virage du.com et qui ne voudront pas rater le virage suivant. »
Cependant, dans son analyse, il ne se place que du côté de la valeur technique des noms de domaine et des coûts associés. On peut au passage voir un parallèle avec le paradoxe de l’eau et du diamant :
Au sujet de la distinction entre valeur d’échange et valeur d’usage, [Adam] Smith constate : « Il n’y a rien de plus utile que l’eau, mais elle ne peut presque rien acheter; à peine y a-t-il moyen de rien avoir en échange. Un diamant, au contraire, n’a presque aucune valeur quant à l’usage, mais on trouvera fréquemment à l’échanger contre une très grande quantité d’autres marchandises. »
La réponse tient à l’abondance relative de l’eau par rapport au diamant, et à la difficulté d’extraction du diamant bien plus grande que celle de l’eau : un désir d’eau pourra être satisfait avec peu d’argent, un désir de diamant coûtera très cher.
Le prix de vente d’un objet dépend du désir de son acheteur et de la difficulté qu’il a à se le procurer. Peu importe le travail qu’il a fallu au vendeur d’un produit ou service pour le fabriquer ou l’acheter.
Les utilisateurs des noms de domaines voient donc essentiellement le côté utile : un nom de domaine leur donne de la visibilité en ligne, leur permet de créer un site web et de lui donner une adresse, etc. Ils jugent la valeur d’utilité que leur apporte ce service, et sont donc prêts à payer une somme en conséquence, même si cette somme dépasse de beaucoup les coûts.
services en ligne et marges générées
On se retrouve dans une situation où les marges peuvent être particulièrement importantes, notamment dans les noms de domaine, mais aussi dans un grand nombre de services en ligne, produits essentiellement dématérialisés. On peut donc légitimement penser qu’il s’agit là d’un vivier de bonnes opportunités!
Bien entendu, il est évident que la situation n’est pas aussi simple, surtout après l’explosion de la bulle: les entreprises ont bien compris qu’il ne suffit pas de développer un service un minimum utile, puis de facturer aux consommateurs… Le marché évolue, et tant qu’il y a de fortes opportunités, il y a de nouveaux acteurs qui entrent sur ce marché. De plus, les acteurs, nouveaux comme anciens, ne se contentent pas de dupliquer ce qui existe déjà, mais proposent des produits ou services toujours plus évolués.
Illustration avec les FAI en France: Jusqu’à l’ouverture de l’ADSL à la concurrence (2002), on avait un marché de l’accès à internet relativement structuré, avec des marges élevées, même si les entreprises n’étaient pas forcément rentables. Or, un des acteurs (Free) a pu déstabiliser le marché en décidant de baisser ses prix au plus près de ses coûts, diminuant ainsi sa marge, mais cela lui a permis de conquérir des abonnés en masse. En parallèle, il a également développer la valeur de ses produits, en innovant à coup de freebox, d’hébergement de pages persos plus large et plus complet, de VoIP, etc.
Cette double évolution -baisse des prix et amélioration technologique- a obligé tous les acteurs du marché à se remettre en question : soit en innovant et en offrant des services avec une valeur perçue plus élevée : VoIP, stockage en ligne, TV par ADSL, etc. (Neuf a été un des plus réactifs et le seul qui semble actuellement capable de rivaliser avec la surenchère technologique de Free), soit en baissant les prix pour s’aligner (la grande majorité des autres acteurs).
Dans les noms de domaine, on a également traversé ces différentes phases : Gandi était le moins cher, à l’époque où il y avait peu d’acteurs, surtout français, et où le marché mondial était encore fortement contrôlé par le couple Verisign / Networks Solutions; aujourd’hui, des concurrents comme OVH ou 1and1 ont à leur tour grandement bousculé le marché en baissant leurs prix et en augmentant les services offerts; résultat : Gandi est maintenant à son tour dépositionné.
Certes, les blocages au sein de l’équipe dirigeante historique peuvent expliquer en grande partie cette non-évolution de l’offre. Le rachat de Gandi par Stephan Ramoin et son équipe débouchera-t-il sur une baisse des prix, une évolution de l’offre de services, ou bien les deux?
Quoi qu’il en soit, je continue de payer pour le renouvellement de mes nom de domaines, et je suis toujours chez Gandi, car le service qui m’est rendu me satisfait pleinement, et je trouve que son utilité vaut largement les 14,35 € TTC / an! 🙂